C’est avec une profonde tristesse que nous venons d’apprendre le décès de Yves Jeannes, dont nous vous proposions le portrait sur ce site. L’ensemble de l’équipe Parchemins exprime ses condoléances à la famille et aux proches d’Yves.
Aujourd’hui, je rencontre Yves Jeannes chez lui, à Kergleuziou près de Cadol. Il m’accueille chaleureusement dans un salon donnant sur un verger. Fils et petit-fils de paysans, Yves Jeannes a d’abord repris l’exploitation familiale avant de se reconvertir en agriculture biologique il y a maintenant de nombreuses années. Cultivateur de céréales, il vend son blé à une brasserie voisine pour la production des bières artisanales Britt. Passionné par les énergies renouvelables, il a également fait installer des éoliennes dans ses champs, et sur ses toits des panneaux photovoltaïques. Il revend l’électricité produite à EDF. Il propose également une maison à la location. Ces trois activités lui ont permis de diversifier ses sources de revenu, et s’inscrivent au cœur de cette recherche d’autonomie devenue aujourd’hui un véritable projet de vie.
Je lui demande ensuite s’il a pu remarquer des transformations au sein du monde agricole au cours de sa carrière. Pour Yves Jeannes, les liens de solidarité qui pouvaient autrefois réunir les paysans autour de gros chantiers collectifs (lors des moissons par exemple) se sont aujourd’hui étiolés. « Maintenant les gens sont beaucoup plus seuls. Les fermes sont de plus en plus grandes. Les gens sont seuls physiquement pour travailler leur exploitation, mais aussi seuls moralement pour beaucoup. »
Il note également une évolution dans les pratiques, notamment du fait de la mise en place de normes environnementales, souvent perçues comme des contraintes par le monde agricole. Lui-même reconnait avoir perçu dans un premier temps ces restrictions en termes d’usage de fertilisants comme une contrainte imposée par la ville au monde paysan. La mise en place d’une gestion de l’eau par les communautés de communes lui ont fait prendre conscience de l’intérêt de protéger l’eau en tant que bien commun, et l’ont finalement amené à dépasser ce clivage ville-campagne.
Dans Parchemins, nous nous intéressons à l’agriculture littorale, c’est-à-dire aux spécificités – s’il y en a – du monde agricole en zone côtière. Si d’autres personnes que j’ai pu interroger à ce propos n’identifiaient pas de caractères spécifiques permettant de distinguer une agriculture littorale d’autres formes d’agriculture, pour Yves Jeannes il en existe certainement plusieurs. Pour lui, le paysan de zone côtière a toujours eu un lien avec le pêcheur.
Tout d’abord de façon concrète, au travers d’amitiés nouées avec des personnes issues du monde de la mer. Ensuite, Yves Jeannes dit observer un brassage de populations en zone côtière que l’on ne pourrait voir en zone purement rurale de centre Bretagne. Il apprécie ainsi les échanges qu’il a pu avoir avec d’autres professions et avec des personnes issues de milieux différents. Enfin, certaines questions touchent directement les pratiques agricoles en zone côtière. Il m’explique par exemple que la mise en place de plans d’épandage spécifiques en zone littorale a pu conduire à l’abandon de terres agricoles (non constructibles), aujourd’hui en friches, ou dont l’entretien requière un certain investissement en temps et de moyens. Ces effets peuvent être constatés directement dans le paysage, dans la mesure où certaines zones humides non entretenues ont eu tendance à se densifier et à s’étendre au fil des ans.
Lorsque je lui demande en conclusion s’il est heureux d’avoir choisi le métier de paysan, il me répond en souriant : « Oui, moi j’ai toujours aimé ce lien à la nature et cette liberté. En ce sens j’ai fait ce que je voulais, et cette liberté justement d’avoir réussi à quitter un monde qui ne me convenait pas pour terminer avec un mode de production où je me retrouve vraiment en totale harmonie. »