Anthropologie environnementale de la remise en culture de friches littorales (ANFRICHE)
Lauréat de l’appel à projets de la Fondation de France Les futurs du littoral et de la mer en 2021, le projet ANFRICHE est une recherche-action pluridisciplinaire consacrée à l’étude des phénomènes d’enfrichement dans les territoires littoraux et des tentatives contemporaines de remise en culture, à des fins de production alimentaire. Coordonné par Amelia Veitch (doctorante, LAP-LACS) et porté par le Laboratoire d’Anthropologie Politique (LAP, EHESS), le programme de recherche collabore avec plusieurs partenaires : le réseau CIVAM, le Groupement des Agriculteurs Bio du Finistère (GAB 29), le réseau BRUDED, le Conseil Départemental du Finistère, le mouvement Terre de Liens.
L’équipe scientifique est, quant à elle, composée de :
- Birgit Müller, anthropologue (CNRS-LAP-LAIOS) : direction du projet
- Amelia Veitch, doctorante en anthropologie (EHESS/UNIL, LACS-LAP) : coordinatrice scientifique, réalisation d’une thèse
- Pierre Libaud, doctorant en écologie (EHESS-UBO) : réalisation d’une thèse au sein du projet
- Alix Levain, anthropologue (CNRS-AMURE) : appui scientifique
- Françoise Vertès, agronome (INRAE-Agrocampus/CBNB) : appui scientifique
- Jérôme Sawtschuk, docteur en aménagement (LABERS-UBO/Institut de Géo-architecture) : appui scientifique
- Johan Vincent, historien (Angers TourismLab) : appui scientifique
- Charlotte Guiet, étudiante en Master de Géographie (UBO) : stagiaire au sein du projet, réalisation d’une enquête de terrain
L’enfrichement de terres agricoles littorales en Bretagne
L’enfrichement de terres agricoles en Bretagne est un phénomène en expansion. Les cartographies montrent qu’elles se concentrent principalement en zone littorale. Ces terres abandonnées sont composées de milliers de parcelles cadastrales, autrefois cultivées par la paysannerie. Mais l’exode rural a conduit à leur abandon progressif, dans le contexte d’un vaste plan de modernisation de la Bretagne qui segmente la région en deux espaces : un arrière-pays dédié à l’agriculture intensive, et un littoral consacré au tourisme, où se développent de fortes pressions foncières. Malgré ce mouvement de « littoralisation », certains espaces littoraux échappent à l’artificialisation liée au développement touristique. Ils peuvent soit devenir des zones protégées, ou conserver leur statut agricole : ils se morcellent alors au gré des héritages successifs.
Résultat : une succession de stades végétaux, évoluant de la lande à genêt et ronces au pré-bois à prunellier et aubépine – jusqu’à la forêt naissante, constituant une mosaïque de milieux diversement appréciés sur le plan de leur richesse écologique et de leur valeur patrimoniale.
Comme l’a démontré le projet PARCHEMINS, c’est sur le littoral que se pose de manière la plus frontale en Bretagne la question des changements profonds dans les systèmes de production agricole. En effet, c’est là que s’exercent les plus fortes tensions liées aux conséquences sociales et environnementales de l’intensification agricole : inquiétudes associées aux pollutions, forte pression foncière, contraintes multiples qui entourent les prises de parole des agriculteurs dans le débat public. Le littoral breton devient ainsi un laboratoire social où un nombre croissant d’initiatives tendent à réinventer des ruralités perçues comme disparues ou dévoyées.
Le mouvement de « reconquête » des friches
Les initiatives pour « reconquérir » les terres agricoles enfrichées se multiplient partout en France. Elles peuvent être conduites par des communes, des particuliers, des collectifs, des associations. En majorité, ces initiatives visent à libérer du foncier pour installer des projets agricoles en agriculture biologique et en circuit-court, dans un mouvement général de tentative de relocalisation alimentaire.
ANFRICHE propose d’analyser ce mouvement de « reconquête » agricole des friches à partir d’une lecture critique du processus de « transition » agroécologique.
Objectifs d’ANFRICHE
- Analyser les vécus écologiques d’un paysage en transformation : comment différentes espèces co-évoluent-elles dans des espaces successivement cultivés, enfrichés, défrichés, recultivés?
- Analyser la transformation de régimes fonciers articulant littoralité et agriculture : comment les régimes fonciers actuels sont-ils mis en tension par ces projets de « reconquête »? Que font-ils à la propriété privée en agriculture?
- Analyser les pratiques agricoles sur les friches : quelles formes concrètes et opérationnelles prend cette « reconquête » par l’agriculture? Qui cultive après les friches?
- Analyser la gouvernance des projets de remise en culture de friches littorales : comment ces projets de transformation territoriale sont-ils menés ? Qui décident de l’avenir de ces terres et comment cet avenir est-il négocié?
Cas d’étude : les friches littorales finistériennes par le cas de Moëlan-sur-mer
Le cas des friches littorales de Moëlan-sur-mer constitue l’un des sites sur lesquels se focalisent la recherche.
Le « front enfriché » de terrains côtiers abandonnés à Moëlan est composé de parcelles en forme de rectangles étroits d’une superficie de 900m2 en moyenne. Ils constituaient la base de la polyculture vivrière jusque dans les années 1950. Mais la déprise agricole signe à Moëlan l’abandon progressif de ces parcelles, de plus en plus morcelées à mesure qu’elles se divisent en héritage. On compte aujourd’hui plus de 1400 propriétaires sur toute la zone enfrichée (environ 500ha).
Le non-géré de ces terres est remis en question : certains s’inquiètent des feux de friches, de l’arrivée d’espèces invasives, de la disparition du paysage littoral bocager, voire de la perte de fonctionnalités écologiques fondamentales. Le paysage de la friche, symbole de la déprise agricole, est même appréhendé comme un symptôme de déclin par certains observateurs.
La commune de Moëlan-sur-mer décide d’agir contre cet enfrichement : elle lance en 2014 un projet de « reconquête agricole« . En activant l’article L125-1 du Code rural, elle obtient des autorisations préfectorales d’exploiter valant bail sur des parcelles « incultes ou manifestement sous-exploitées ». Ceci permet à la mairie de sélectionner, par un appel à projet, des projets agricoles qu’elle souhaite spécifiquement biologiques, pour s’installer sur une soixantaine d’hectares de terres à défricher.
Le projet reçoit une couverture médiatique importante, acclamé comme l’exemple d’une transformation territoriale écologique et sociale, exerçant une forte pression sur sa réussite. Il suscite de grandes attentes en matière de production alimentaire locale en circuit court, et éveille l’espoir de retrouver un paysage littoral bocager cultivé par des paysans respectueux de la biodiversité. Mais le projet se heurte à de nombreuses difficultés.
En prenant appui sur ce que ce cas dit et engage des rapports contemporains à l’agriculture, à l’alimentation et à l’environnement, l’objectif est ainsi d’étudier les multiples recompositions d’un espace qui tente d’articuler la littoralité et l’agriculture.
Posture de recherche : une enquête collaborative et interdisciplinaire
L’équipe scientifique d’ANFRICHE adopte un posture de recherche collaborative, compréhensive, interdisciplinaire et réflexive. Elle repose sur 3 piliers :
– L’enquête ethnographique collaborative, qui met l’accent sur l’observation, la participation, la construction mutuelle d’une intelligibilité de la situation. Il s’agit de partager la vie des acteurs sur une longue durée pour identifier les différents groupes et affinités amicales, de porter une attention aux hiérarchies et aux dominations, aux structures de pouvoir visibles et invisibles, ainsi qu’aux négociations qui se jouent dans les situations d’interaction.
– Les études multi-espèces, pour rendre compte des vivants concernées par les friches : flore pionnière, faune qui y réside, organismes du sol. Afin de faire parler les formes de vie du milieu, l’anthropologie s’associera aux disciplines biophysiques.
– L’usage des images (et pas seulement du texte) dans la production de connaissances, grâce aux méthodes de l’anthropologie visuelle. Certains aspects de la vie sociale, notamment en ce qui concerne le paysage, bénéficient d’être révélés par la prise de vue. Photographies et films viendront donc documenter l’enquête.
Pour plus de renseignements, n’hésitez pas à contacter la coordinatrice scientifique : amelia.veitch@ehess.fr