10h30, le 25 août 2018. Nous sommes à Paimpol, sur son port, où marins pêcheurs, plaisanciers, festivaliers et touristes se côtoient tout au long de l’été. Soleil aoutien, fraicheur matinale et goélands posent le décor aérien de cette commune littorale de 7000 habitants. A côté de la salle polyvalente, des palmiers en plastique bordant une île gonflable accueillent une foule pour le moins étrange.
Des sorcières, des hommes et des femmes vêtus en toge, des gardes du corps, un Ministre (des affaires étrangères), tout un parterre de personnalités politiques (de l’Etat, de la Région Bretagne, du département des Côtes d’Armor, de l’agglomération GP3A, de la communauté de communes, de la commune de Paimpol), des représentants de la coopérative agricole locale (l’Union des Coopératives de Paimpol Tréguier), un footballeur (Coco Michel, d’En Avant Guingamp), un membre de l’INAO (institut national de l’origine et de la qualité), une foule d’anonymes (dont nombre d’entre eux se connaissent), de jeunes journalistes et une anthropologue qui ne perdent pas une miette de ce qui se déroule sous leurs yeux.
Quel dénominateur commun entre toutes ces personnes ? Le Coco de Paimpol. Fève de petite taille, striée de beige et violet, elle a un statut particulier sur le territoire. Le coco n’y est arrivé – dit-on – qu’il y a 90 ans, transporté par un marin depuis l’Amérique du Sud. Mais il a acquis une importance économique et symbolique suffisante dans cette région pour attirer cette foule nombreuse et bigarrée. Cette plante, nutritive et facilement stockable, a permis de passer la période de restrictions de la seconde guerre mondiale dans de meilleures conditions qu’ailleurs. Elle a trouvé sa place dans la gastronomie locale, puis a su s’exporter dans d’autres régions françaises. Il y a 30 ans, trois agriculteurs se sont inquiétés du devenir de ce « flageolet », dont les consommateurs se détournaient peu à peu. Une décennie de réflexions et de négociations aura été nécessaire pour faire du Coco une AOC (Appellation d’Origine Contrôlée). En 1998, l’accès à ce label permet aux agriculteurs de 84 communes situées autour de Paimpol de valoriser un produit auprès de nouveaux marchés, et de nouveaux consommateurs.
Entre 1000 et 2000 « plumeurs » de coco (les saisonniers qui cueillent de manière sélective des bonnes gousses sur les plants de coco) et les quelques 200 agriculteurs qui en produisent, tirent un revenu de ce Phaseolus. L’inscription de la collecte de cocos dans l’économie locale (financement des études des jeunes bacheliers, amélioration des revenus pour les retraités, coup de pouce pour payer les fournitures de rentrée, revenu d’appoint pour des chômeurs, etc.), la maitrise des semences par les agriculteurs, et le rayon de production restreint du coco (84 communes proches de Paimpol) en font une plante qui s’inscrit en plein dans le territoire. Lors de son intronisation dans la « Confrérie des Cocos de Paimpol », une élue locale, en goûtant le coco, annonce au micro que « Ça a le goût de Paimpol« .
2018 est donc l’occasion de fêter les 20 ans de l’AOC du coco, arrivé par la mer et cultivé sur le terres du Trégor et du Goëlo. Les orateurs, appelés à la tribune, ont pour nombre d’entre eux contribué personnellement à l’inscription du produit comme AOC (puis comme AOP). Les autres, sur scène ou parmi le public, contribuent aujourd’hui à leur échelle à maintenir la culture du coco, à l’heure où de nouvelles réglementations de collecte interrogent sur l’avenir de cette culture. C’est ainsi que l’on voit en cette matinée d’août se mettre en scène tout un écosystème qui tourne autour du coco, composé d’agriculteurs, d’acteurs des collectivités territoriales, de membres de la coopérative légumière, de membres de confréries (dont le but est de se faire les ambassadeurs de produits singuliers), de cuisiniers, de plumeurs, ou des journalistes, qui donnent à cet événement un écho qui le dépasse. Car il fait sens pour ces acteurs, et parce que la collaboration de ces acteurs fait sens pour le maintien du coco.
Aujourd’hui, le maintien de la production de la fève est questionné, à plus d’un titre. L’arrivée de nouvelles réglementations pour salarier les « plumeurs » déstabilise des équilibres économiques, sociaux et de production de la fève. Ces problématiques sont dans tous les esprits, mais ne sont pas formulées à voix haute, en ce moment de célébration. En revanche, on peut présumer qu’un tel soutien politique n’est pas étranger à cette crise.
Par ailleurs, partout, pour cette fête du coco et ce comice agricole, transparait plutôt une stratégie marketing et de promotion maitrisée pour valoriser le coco de Paimpol, les légumes frais produits sur le territoire, et d’autres production primaires littorales bretonnes (AOP prés-salés du Mont Saint-Michel, Huitres de la Baie de Paimpol…). Le parrainage de la fête par Coco Michel, ancien joueur de football du club d’En Avant Guingamp, la présence de la confrérie du Coco de Paimpol, contribuent à une folklorisation et à une revendication identitaire forte autour du Coco de Paimpol, dont on est avant tout, en cette journée de célébration, fier.
Tout au long de la journée, des animations sont proposées : balades en carrioles tirées par des ânes, manipulation d’engins agricoles, partage de plats préparés à base de Cocos de Paimpol dans les restaurants du port, repas festifs au milieu du comice agricole, concours de plumage de cocos, dégustations de légumes dans le camion Prince de Bretagne, parade de vieux tracteurs, etc. Cet événement attire beaucoup de familles, qui se retrouvent autour d’un verre ou au hasard des déambulations entre les divers stands. On s’y donne des nouvelles et on passe un bon moment ensemble. Le coco de Paimpol ne semble pas particulièrement s’inviter dans les conversations, mais offre un bon prétexte pour se revoir.
Cette fête des 20 ans de l’AOC du coco de Paimpol offre un point de vue particulièrement riche sur la place qu’occupe le coco sur le territoire : mise en scène sur le port, soutien par des politiques, des banques, des entreprises locales, des agriculteurs, réactivation d’un folklore local, et prétexte pour se réunir et partager des moments ensemble.
crédit photos : Sandrine Dupé
Territoire du Goëlo