Jean-François et Catherine Chupin sont éleveurs de vaches laitières sur la commune de Melgven, à Cadol. C’est le milieu de l’après-midi. Les murs de vieilles pierres de l’exploitation familiale se renvoient en écho les meuglements des vaches à l’étable.
Jean-François termine ses études au Nivot, un lycée agricole en Centre Finistère, en 1988. Il s’installe en octobre de la même année. Il rachète une exploitation laitière et les corps de ferme et démarre son activité seul, à quelques kilomètres de l’exploitation familiale. Quelques années plus tard, il décide de voyager et part travailler aux Etats-Unis et au Canada, dans des structures agricoles très différentes du modèle français. Il y reste un an. A son retour, ses parents et lui décident de regrouper l’exploitation familiale de Cadol avec la sienne. Nous sommes en 1994, et le père de Jean-François part à la retraite. Catherine, qui à l’origine n’est pas issue du monde agricole, le rejoint sur l’exploitation en 96. Par la suite, Jean-François adhère à l’OPLGO, l’Organisation des Producteurs de Lactalis Grand Ouest. Au cours des ans, la référence laitière de l’exploitation augmente. Aujourd’hui, la structure compte en moyenne entre 90 et 125 vaches de race Holstein, et produit 900 000 litres de lait par an.
A côté de la production laitière, Jean-François s’est très tôt pris de passion pour la génétique et la sélection animale, avec la transplantation d’embryons sur les meilleures bêtes. Les critères de sélection concernent la morphologie des animaux, la quantité et la qualité de leur production de lait.
En dehors de la ferme, Jean-François s’est investi au niveau communal en intégrant pendant quelques années le conseil municipal de Melgven. Il ne regrette pas ces années d’engagement qui lui ont permis de sortir de son exploitation, de rencontrer, d’échanger et de s’ouvrir à d’autres personnes sur la commune.
Très tôt, il s’engage également à l’échelle du bassin versant dans les démarches mises en œuvre autour de la reconquête de la qualité de l’eau. C’est dans cette perspective qu’il ouvrira les portes de son exploitation à plusieurs reprises à des personnes extérieures, dans le but de faire découvrir les réalités de la profession agricole.
D’esprit libéral, comme il le revendique lui-même, Jean-François reconnais qu’aujourd’hui il manque d’espace. « Quand j’arrive au bout à un moment donné, j’aime bien arrêter et repartir sur autre chose ». D’autant plus que les projets d’agrandissement de la zone d’activité de Coat-Conq l’empêchent de s’agrandir, et pourraient même l’amener dans les prochaines années à vendre ses terres et à déménager. De même sur le plan administratif, Jean-François a le sentiment d’étouffer à cause d’une « sur-administration » croissante, et du travail conséquent de « paperasse » à remplir (dossier d’obtention des aides PAC, normes sanitaires et environnementales, factures, etc.). Ces évolutions expliquent, entre autres choses, le « ras-le-bol » actuel du monde paysan, notamment dans la production laitière. Jean-François explique : dans un contexte d’ouverture du marché du lait à l’international, la France n’est pas suffisamment compétitive du fait de coûts de production plus élevés que dans d’autres pays, notamment au niveau de la main d’œuvre. Les prix ne sont pas garantis pour les agriculteurs, qui n’ont aujourd’hui aucune visibilité sur l’évolution du cours du lait, même à court-terme.
L’élevage a diminué au cours des dernières années, notamment en zone littorale. « L’élevage est en train de foutre le camp de la zone littorale. […] Va y avoir des trous là dans le paysage. […] Ça va être le vide complet ». Les effets sont déjà visibles : le nombre d’exploitants qui arrêtent leur activité ou dont les enfants ne souhaitent pas s’installer est en augmentation croissante, conduisant à une déprise du foncier et au développement de zones non travaillées qui laissent place aux friches. A l’échelle des écosystèmes, des changements écologiques se manifestent directement par la présence accrue d’animaux sauvages (sangliers, blaireaux, chevreuils, etc.) et d’oiseaux – les « hérons-vaches » ou aigrettes – normalement plus rares dans les terres qu’en bord de côte. Jean-François ne considère pas être en zone littorale, dans la mesure où son exploitation se situe au nord de la voie express, cette fameuse quatre-voies reliant Nantes à Brest, en passant par Vannes, Lorient et Quimper : « Entre le nord de la voie express et le sud de la voie express y a une frontière physique là ».
Il constate par ailleurs, qu’il n’achète plus de paille sur Névez et Trégunc, deux bourgs côtiers au sud de la voie express donc, car les déplacements avec les engins agricoles est rendue compliquée par la densité croissante de la circulation (surtout en été avec l’afflux de touristes) et par le fait que les routes traversant les bourgs ne sont pas adaptées aux dimensions imposantes des véhicules agricoles.
Malgré tout, Jean-François reste passionné par son métier et entend bien continuer son activité aussi longtemps que possible. « Pour moi faut que je la touche la vache, autrement c’est pas possible. […] La traite c’est quelque chose que je pourrais faire du matin au soir 365 jours par an sans jamais me lasser. Et labourer. Et je sais pas pourquoi. [..] Je soupire jamais pour aller traire les vaches ».