Presqu’île de Rhuys – Février 2018.
En juin, Lors de l’une de mes visites à Rhuys pour l’enquête Parchemins, c’est au camping l’Abri côtier que j’avais élu domicile. La saison se prépare. Les caravanes ont été mises en place pour la plupart. Quand je repars, Nathalie Rio, qui s’occupe des lieux, me promet de retrouver un emplacement pour moi quand je reviens, et me garde en attendant, mon vélo au hangar. Elle a fait un camping « comme j’aimerais trouver si je partais en vacances au camping ». C’est son mari qui me ramène au bus de Saint-Gildas. Nous parlons de la tonte des moutons. Car l’histoire familiale des Rio est avant tout marquée par l’élevage. Le camping a été créé en 2001 sur l’exploitation agricole des Rio. Quelques parcelles sont encore cultivées, avec une alternance entre céréales et prairie permanente, en complément de leur activité d’accueil estival, et d’hivernage de caravanes et de bateaux.
Les détails de cette conversion nous sont livrés par Nathalie lorsque nous retournons la voir avec Marie Pot, étudiante rennaise qui mène elle, une enquête agricole sur la presqu’île dans l’équipe Parchemins*. Nathalie nous accueille dans le salon de la maison familiale, bâtisse moderne construite il y a 25 ans, qui voisine avec un étang : « Avec les cygnes, les canards qui viennent se poser. Il y a quelques années on voyait régulièrement des chevreuils qui venaient boire le matin avant d’emmener les enfants à l’école. » Si Nathalie salue le « cadre de vie » dont ils ont pu bénéficier, elle ne voudrait pas qu’il y ait de malentendu :
« C’est de la terre que mon mari avait achetée avant qu’on se connaisse, et qu’il avait acheté, c’était en francs à ce moment-là (…) moins de 15 centime le m2 (…) nous on pouvait parce qu’à ce moment-là on avait le droit de faire sa maison sur son siège d’exploitation, ce qui n’est plus vrai aujourd’hui, on nous demanderait de construire au hameau le plus proche. Il y a quasiment un hectare autour de la maison mais on l’a pas payé au prix de la presqu’île de Rhuys qui est aux alentours de 180 ou 200 euros le m2 (…) des fois plus suivant où est la parcelle constructible, viabilisée. »
L’entrée en matière de notre entretien concerne donc indirectement le boom immobilier qu’a vécu la presqu’île. Nathalie y reviendra plus tard. Un temps élue à la commune de Saint-Gildas, adjointe à la vie économique, à l’agriculture et au tourisme, elle a contribué au lancement de l’opération de reprise des biens sans maitre. Elle a aussi pu y déplorer les politiques d’aménagement nationales allant dans le sens d’une densification, qui finalement, dans le contexte côtier, renforce l’artificialisation des terres. Elle évoque enfin le retentissant retournement de situation, qui a conduit à valoriser à prix d’or les parcelles proches de la côte, alors qu’au départ, sur le plan agricole, elles ne valaient pas grand-chose :
« Dans les familles passées, les hommes, les gars, avaient les bonnes terres, (…) et on donnait aux filles de la maison, quand elles se mariaient, en dot, les terres qui étaient en bord de mer, parce que c’était des terres qui étaient justes bonnes pour mettre à brouter les moutons, les chèvres, mais qu’on ne pouvait pas cultiver. Et au final, avec les générations qui passent, et le temps qui passe, ce sont ces parcelles-là qui ont le plus de valeur. (…) Quand ce sont certaines parcelles où il est encore possible de construire et qui sont en bord de mer, c’est les filles qui ont fait jackpot.«
Des volailles aux caravanes
Nathalie se marie en 1990. Elle rejoint Saint-Gildas après des études universitaires à Rennes, où son compagnon est alors éleveur de volailles. La ferme voisine est tenue par le frère qui élève lui, autour de 300 brebis. Tous deux ont repris à la suite de leurs parents, qui étaient passés, au cours de leur carrière, des vaches à l’élevage ovin. La mère est encore là, qui supervise la traite. C’est donc une histoire de famille qu’intègre Nathalie, qui découvre alors le monde agricole. A force d’en entendre parler à table, elle se familiarise…jusqu’à décider de passer un bac agricole, « pour pouvoir faire face aux représentants qui venaient à la ferme par exemple ». Une formation est proposée par le GVA**, « prévue pour les femmes qui ne travaillent pas sur l’exploitation ou qui veulent un statut. Ce n’était que pour les femmes, sur 5 ans au maximum. On n’avait jamais cours le mercredi et les week-end. C’était toujours sur le temps scolaire, comme ça quand les enfants étaient scolarisés, on pouvait nous aussi aller à l’école. Ça m’a permis de rencontrer plein de femmes dans le milieu agricole que je continue à voir maintenant ».
L’exploitation de volailles a été lancée en 1982. Alternent poulets et dindes, écoulés surtout à l’export. Les terres de l’exploitation produisent le foin pour les bâtiments d’élevages, et les céréales qui, vendus à la coopérative, reviennent sous forme d’aliments : « comme l’aliment qu’on donnait aux animaux n’était pas que du blé ou que du maïs, il fallait des apports de lysine et ainsi de suite, donc tout ça partait à la coopérative, et ça revenait une fois que c’était transformé, avec le soja et tout le reste ». Ils choisissent d’arrêter 24 ans plus tard, comme par un heureux coup du destin, juste avant la première vague de grippe aviaire.
Durant cette période, Nathalie elle, s’était surtout investie dans l’animation d’un parc animalier, créé en 1989 et géré en commun avec son beau-frère et son beau-père, sur 12 hectares, la ferme du Men Guen. « On avait des cerfs, des daims, sangliers, une laie avec les petits marcassins. A chaque fois [sauf pour les sangliers] on avait les couples avec des petits (…). Toutes sortes de chèvres, de la chèvre alpine en passant par la Suffolk avec les doubles cornes, des chèvres naines, différentes variétés, (…) l’oie de Guinée, l’oie de Toulouse, voilà. Et tout ça y avait soit des petits étangs, des petites choses, et ça plaisait bien ». L’attraction rencontre un franc succès auprès des scolaires et des touristes, avec jusqu’à 17 000 visiteurs la dernière année. En plus des animaux, les lieux abritent aussi un « éco-musée » qui donne à voir une collection d’outils agricoles anciens : les clubs de retraités « appréciaient de retrouver dans l’écomusée le matériel avec lequel ils avaient…pour eux c’était pas de l’ancien, c’était avec ce qu’ils avaient vécu. »
La création du camping, elle, passera par une conversion des infrastructures de production de la ferme. Ainsi à l’arrêt de l’élevage de volailles, les bâtiments sont convertis en entrepôts d’hivernage de caravanes et de bateaux. Puis l’une des familles de leur clientèle leur demande de les dépanner en pour quelques nuits sous tente. Ils peuvent les accueillir simplement, car ils ont à leur disposition le bloc sanitaire obligatoire pour le personnel, dans tout élevage de volaille industrielle.
Voilà la dynamique lancée. Reste à convertir les terres cultivées en emplacements pour les campeurs : « Quand on a créé le camping en 2001 avec mon mari, (…) on a découpé dans une bâche agricole la taille d’une caravane avec un auvent et on a commencé à la positionner au sol, comme ça, et puis ça nous a permis de faire les délimitations des emplacements (…) ça a dessiné le camping, en utilisant les deux trois bouts de petites routes qu’on avait (…) chemins, qui permettaient d’aller dans les champs. (…) Une partie du camping, la partie basse, c’était un champ de blé, après la moisson, (…), l’autre partie du camping, là-haut, c’était du maïs, la dernière fois qu’on a cultivé. »
Si l’abri côtier est catégorisé Camping à la ferme, il semble plutôt aujourd’hui que l’activité agricole, avec 40 ha de terres encore cultivées, soit devenue une activité annexe à cette d’accueil.
Pour autant, Le fait d’être dans le monde agricole est intervenu à différents niveaux dans l’agencement des lieux, comme l’attention au vent, qui limite les choix d’orientation des emplacements : « on surveille d’où viennent les vents, ce que ne penserait peut-être pas un créateur de camping (…) nous on a fait attention au vent ». Les haies, elles, ont été plantées en faisant appel au GVA pour l’achat de plants de toutes sortes, auxquels s’ajoutent des bouleaux récupérés dans une ancienne carrière des environs, les chênes déjà présents sur les terres : « On a fait des haies variées, je ne voulais pas des haies basiques, laurier pin, troène, ou, Eleanus (…) Mettre des aulnes, des chênes, beaucoup de chênes qu’on a retrouvés sur nos pourtours de champs, on s’est dit autant les mettre en valeur, et puis toutes sortes d’arbres qu’on pouvait trouver. » Enfin, les vacanciers peuvent bénéficier des produits du grand potager cultivé par Nathalie, des œufs d’une douzaine de poule, et des confitures qu’elle produit avec les fruits épargnés par les oiseaux…
Une terre à touristes ?
Nathalie n’est pas particulièrement optimiste quant à l’avenir de l’agriculture sur la presqu’île. Avec comme point de départ, la pauvreté des terres littorales, joint à l’attrait particulier des lieux :
« On a dû vous dire ici sur la presqu’île, les rendements, ce n’est pas Pontivy, on reste une zone côtière avec une terre qui est de mauvaise qualité. » Si les terres d’ici permettent l’élevage et les cultures associées, en aucun cas elles n’autorisent les cultures céréalières intensives qui permettraient d’en tirer un revenu plus intéressant. Ainsi « comme le disent certains, « ici c’est une terre à touristes » [c’est-à-dire] qu’il vaut mieux pas cultiver, il vaut mieux laisser les gens venir et profiter de notre presqu’île avec les espaces verts, la mer, tout ce qui a autour, pour les randonnées, mais ne pas…ça sert à rien, au niveau des rendements c’est pas bon quoi. »
Or la fréquentation croissante de l’île, en particulier d’origine urbaine, crée aussi des frictions à propos justement des gestes qui permettent aux cultivateurs d’améliorer la production : comme les plaintes pour le salissement de portions de route lors de l’épandage de fumier, ou encore, l’impossibilité de mettre des canons pour effaroucher pigeons et corneilles qui se régalent dans les parcelles.
Nathalie constate, pour finir, que le paysage agricole évolue, avec en particulier un recul franc de l’élevage. Il semble déjà, pour elle, de l’histoire ancienne. A l’exception des centres équestres, qui sont en fait des infrastructures de loisir : on en compte cinq sur la presqu’île ! C’est notamment à ces derniers que l’exploitation des Rio vend aujourd’hui son foin.
* Pot M., 2018. Caractérisation de la diversité de l’agriculture d’un territoire littoral : la Presqu’île de Rhuys. Mémoire de Master 2 Fonctionnement et gestion des agrosystèmes. Agrocampus Ouest. Non publié, 27 p.Téléchargement
**Groupement de Vulgarisation Agricole