Le lycée agricole de Bréhoulou a été créé en 1917 à Fouesnant. Il propose notamment à ses élèves un bac pro élevage et un BTSA « analyse et stratégie de l’entreprise », à destination des futurs installés ou de professionnels de l’encadrement agricole (conseillers bancaires et de gestion, techniciens de coopératives, etc.). Anne Bouilly est enseignante en agronomie, et Stéphane Eugène est le responsable de l’exploitation agricole du lycée. Tous deux partagent leurs observations s’agissant des transformations du monde agricole en baie de la Forêt. Ces réflexions leur sont bien entendu personnelles, professionnelles en tant que parties prenantes de ces évolutions, mais découlent également de leurs échanges avec les élèves.
Au début de la formation, près de la moitié des étudiants se destinent à l’installation. Tous ne suivront finalement pas cette voie en sortie de formation. Du moins pas dans un premier temps. Certains jeunes s’installeront en effet 5 ans à 8 ans environ après l’obtention de leur diplôme, durant lesquels ils travaillent en tant que techniciens ou salariés agricoles dans des exploitations, souvent dans le Sud Finistère.
Le lycée agricole possède sa propre structure agricole. L’exploitation comprend un élevage de porcs de 75 truies allaitantes, un élevage de volailles en conversion en agriculture biologique, ainsi qu’un troupeau de vaches nantaises qui pâturent dans les marais de Fouesnant. Outre le fait de favoriser l’entretien de parcelles protégées, ces 30 hectares fournissent un « terrain de jeu » pédagogique formidable pour les élèves. Malgré les efforts fournis pour s’affirmer en tant qu’acteur important de la commune, le lycée Bréhoulou et les activités de la ferme restent souvent méconnues des habitants locaux.
Depuis plusieurs années déjà, la ferme du lycée fait partie du groupe écophyto du Sud Finistère qui compte douze fermes travaillant ensemble à la réduction des produits phytosanitaires. Ces rencontres et ces échanges avec les agriculteurs ont fait écho aux questions auxquelles Anne Bouilly a pu elle-même être confrontée dans son enseignement. L’idée d’une sociologie du propre et du sale en fait partie…
« C’est ce que j’appelle la sociologie du propre et du sale. Parce que la parcelle elle est propre ou elle est sale. Et donc chez les bios c’est sale forcément. Et en fait c’est une histoire de curseur, où est-ce qu’on met le propre, où est-ce qu’on met le sale. […] Et quand il faut changer ça…parce qu’en fait il faut aussi changer le curseur pour changer ses pratiques. Y a un frein là. Il faut prendre un risque. Ils le voient bien, ils le comprennent. Je vais prendre un risque, mais comment est-ce que je mesure mon risque ? Et c’est quoi mes nouveaux indicateurs ? Et comment je peux faire pour quand même changer sans prendre trop de risques ? Voilà y a tous ces aspects-là qui sont de cet ordre-là, qui sont pour moi les plus gros freins. Et c’est pas un problème global de réflexion. »
Elle constate toutefois que les élèves ne ressentent pas encore ces freins, et font ainsi souvent preuve d’une créativité surprenante lorsqu’il s’agit de réfléchir à l’amélioration d’un système. Toutefois, l’image que renvoient les médias et l’opinion publique du monde agricole les affecte directement. « La stigmatisation du monde agricole, eux ils le vivent encore plus mal ce qu’ils peuvent entendre. C’est-à-dire que dès que y a un mot de travers sur les pratiques agricoles, ils se sentent super victimes. »
En tant que maître de stage, Anne Bouilly est en contact direct avec les professionnels du monde agricole. Elle a pu constater l’agrandissement rapide de certaines structures, mais aussi le développement de modèles agricoles alternatifs en zone littorale (maraichage, élevage ovin, production de miel, de plantes aromatiques, etc.) privilégiant les circuit-courts ou la vente directe, et comptant sur la transformation à la ferme de leurs produits pour s’en sortir. Pour l’enseignante, ces nouvelles installations expriment une volonté de s’ancrer dans le territoire, en tenant compte des potentialités offertes par l’environnement social et économique local. La politique de l’établissement vise ainsi avant tout à faire découvrir aux élèves l’ensemble des systèmes de production et de commercialisation présents en Sud Finistère, sans chercher à valoriser un modèle plus qu’un autre. « On essaye d’aller voir des gens un peu différents, des modèles un peu différents. Après on a un travail en classe aussi à comparer les choses. Sans juger, mais comparer les points forts de chacun des modèles, entre autres pour leur apprendre à réfléchir, et qu’ils transfèrent après dans leur propre réflexion de parcours après pour eux. […] Les comparaisons il faut les faire comme ça en fait, sur un angle et pas sur un modèle. »
Quelle est aujourd’hui la place de l’agriculture à Fouesnant? Anne Bouilly le confirme, le parcellaire de la ferme du lycée s’est morcelé au fil des ans. « Fouesnant n’est plus agricole. Il reste quelques agriculteurs mais on n’est plus vraiment une terre agricole. Depuis longtemps en fait. Y a plus de siège d’exploitation. Mais par contre sur les communes d’à côté y en a des sièges d’exploit. Et souvent les terres agricoles elles sont reprises par les exploits qui sont sur les communes voisines. Et on est un peu coincé. On est à l’affut de ce qu’on peut récupérer mais faut que ça puisse aussi rentrer dans notre système. On ne va pas prendre une terre pour prendre une terre. C’est un enjeu ici. Le lycée et la ferme ont 90 ans. Et jusque dans les années 90, tout ce qui est de l’autre côté de la route de Beg Meil en fait, donc les terrains de sport, la piscine, les terrains de foot etc., c’était les parcelles du lycée. Donc la commune a préempté pour son agrandissement. On a récupéré les terres mais elles sont loin. »
« La réputation de Fouesnant elle est bâtie à la fois sur le côté mer mais aussi sur le côté terre avec le bocage, les sentiers de randonnées, le cidre avec les champs avec quelques vaches en dessous. Bon y a plus beaucoup de vaches en dessous. A part les nôtres…Et pour le coup y a toujours cette complémentarité terre-mer de la zone littorale qui est intéressante, mais qui est vraiment bâtie sur les conflits d’usage. Sachant qu’à Fouesnant on peut dire…c’est quand même les touristes qui ont gagné, l’activité touristique qui a gagné. Au sens place dans l’économie. Mais je pense qu’il y a une place pour l’agriculture, qui est même importante, qui est de conservation, maitrise – je ne sais pas quel est le bon mot – des paysages. Au sens du beau, du pérenne comme dans la tradition, mais où l’agriculteur il faut qu’il trouve sa place. »