Début juillet se tenaient à Montpellier les premières Assises sciences sociétés, portées par la Maison des Sciences de l’Homme – Sud et l’Alliance Sciences Sociétés, avec une dizaine d’autres structures[1]. Trois jours d’ateliers, conférences et débats, un évènement ouvert à tous et gratuit.
Le slogan des assises : « partageons nos pratiques et nos savoirs »
Ecoute et poignées de main
C’est l’université Montpellier 3 qui accueille au site Saint-Charles, un bâtiment historique cossu récemment rénové, idéalement situé en centre-ville, près du jardin des plantes. Dans les rues adjacentes, des questions écrites au marqueur sur de grandes traces de pieds invitent les passants à se joindre aux rencontres. Parmi elles on peut lire : « A-t-on bien fait d’inventer l’agriculture ? ». Le ton est donné, nous sommes là pour rebattre les cartes !
L’atmosphère est plaisante à ces rencontres, conviviale. Le mélange semble se faire sans heurts entre mondes professionnels différents, même s’ils se côtoient : chercheurs, élus et agents de collectivités, associations locales et animateurs de quartier, consultants en tous genre…le public essentiellement français, de vingt à soixante-quinze ans, arbore des costumes variés, et au total pas de « dress-code » majoritaire, même si rares sont ceux qui osent se montrer en tissus imprimés (merci à Hélène Joly et Tanguy Gnikobou pour leur élégance joyeuse dans l’océan de coton gris !). Artisans du monde est aux manettes pour la pause-café et le second soir un verre sera proposé au profit d’une association, avec au paysage sonore, un jeune guitariste assis sous les figuiers, sons amplifié par vélo-générateur.
Allures et paroles au pluriel
L’évènement, s’il apparait décontracté, n’en reste pas moins éminemment politique. L’ALLISS s’est en effet donné comme objectif de « développer la coopération entre la société civile et les établissements de recherche et d’enseignement supérieur »[2], et en particulier, d’œuvrer à une transformation du contexte institutionnel dans lequel s’inscrivent ces relations. Or pour cela, il est nécessaire de trouver et d’actionner des leviers politiques nombreux à différentes échelles, ce qui implique une action stratégique bien menée. L’ALLISS ressemble en cela à une poulie : c’est un mouvement social doublé d’un groupe d’influence.
Les relations sciences sociétés, à quoi ça vous fait penser ?
Dans les couloirs différents acteurs de l’éducation populaire et de la coopération proposent des activités construites pour mettre l’imagination en mouvement : le cabinet Prima Terra élabore chemin faisant avec les volontaires qui passent, une carte mentale des relations sciences sociétés. Les petits débrouillards proposent un jeu d’association d’images et d’expression libre sur le même thème : Alors les sciences, où sont-elles ? Quelque part entre cœur et cerveau, souris de laboratoires et parterre de marguerites… ?
Les ateliers se partagent entre conférences-tables rondes et réflexions collectives encadrées. Au menu de ces dernières, citons par exemple le cycle de vie des projets de recherche, le concept de Living lab, la cartographie des acteurs de l’éducation à l’environnement… J’y fais deux constats.
Le premier : il ne suffit pas d’un paquet de post-it et de bonnes intentions pour produire une discussion collectivement fructueuse. Animer une réflexion en donnant la parole à chacun, rassembler les résultats pour les remettre en commun, cela s’apprend, cela peut être un métier. Le second : au-delà du projet politique et des valeurs partagées, la transformation des relations sciences-sociétés, c’est aussi un marché. En atteste la diversité des postures des participants aux assises, comme dans n’importe quel réseau professionnel. La plupart semblent là pour partager leur expérience, apprendre de celle des autres, débattre, se faire connaitre, se positionner. D’autres sont visiblement là spécifiquement pour capter des idées qu’ils pourront ensuite vendre comme service. Un comble pour un collectif qui a fait des communs de la connaissance l’un de ses étendards, mais un travers sans doute inévitable.
Deux facettes, finalement, d’un même mouvement : celui de l’émergence de nouveaux acteurs professionnels de la coopération science-société.
Accroché au mur d’un atelier, le schéma général de description d’un « living lab »
La professionnalisation des médiateurs.
Dans les projets de recherche participatifs, il n’est pas rare que les chercheurs en sciences sociales se retrouvent à jouer le rôle de courroie ou médiateur, attentifs aux conditions de déroulement du projet, ils en tirent des papiers méthodologiques appuyés sur leur retour d’expérience ou bien encore critiques, à propos de la position dans laquelle ils l’ont l’impression de se trouver confinés.
Le fait est que dans ce rôle ils viennent combler un manque, remplir une fonction nécessaire au bon déroulement du projet et pour laquelle ils ont en général plus de compétences que les autres acteurs en présence, puisqu’elle se rapproche un peu de ce qui fait leur métier – observer, comprendre le point de vue de chacun, repérer les décalages, les points de friction et de rupture. Mais dans la pratique, leur métier consiste bien à les repérer et non à les réparer. Leur rôle reconnu s’arrête au constat, à l’analyse des situations. Le reste pose la question de l’intégrité, de la neutralité du chercheur, de la chercheuse. A ce titre les postures et niveau d’engagement existent. Et de toute façon, tous sont loin de posséder les compétences requises.
Ce rôle, qui est celui d’un médiateur, mériterait donc de ce point de vue d’échoir à un autre acteur plus libre de s’y consacrer, un acteur qui n’aurait pas besoin d’opérer de « torsion » dans sa posture pour se retrouver à la fois en capacité d’animer un travail collectif et de produire une recherche valorisable par des papiers académiques. Voilà qui plaide pour la professionnalisation. Ainsi émerge une fonction dans les projets de recherche avec la société civile, et de plus en plus de médiateurs professionnels, extérieurs à l’ensemble des institutions impliquées, qui interviennent pour faciliter le dialogue entre les différents partenaires, voire pour les former au travail coopératif.
Plusieurs spécialistes de la coopération, présents aux assises, ont pu prodiguer à l’assemblée quelques conseils. Lisa Bergeron, fondatrice de l’association Le temps d’agir, basée en Ariège, propose des formations à la coopération et un accompagnement de projets sur les thèmes tels qu’agriculture, alimentation, éducation, mobilité. Pour elle, les conflits émergent dans les projets tournés vers le développement durable faute de prendre le temps de réfléchir en amont aux modes de gouvernance à mettre en place. Les formations s’appuient sur les méthodes de l’éducation populaire, du théâtre-forum, du débat contradictoire. Les méthodes de régulation des conflits passent ainsi aussi bien par la gestion des émotions que par la mobilisation d’outils numériques de coopération. Laurent Marceault, formateur pour l’association Outils-Réseaux, dans l’Hérault, a déjà mis en place une formation « Animacoop » pour pas moins de 300 agents de la métropole Brestoise. Son constat est le même : au-delà de la volonté politique de coopération, il est également nécessaire pour concrétiser ce virage de trouver d’autres modes de fonctionnement. Il partage quelques indices dans la mise en route d’un projet à l’échelle d’une collectivité. Mettre l’accent sur l’écoute de ceux qui ont des choses à dire, en privilégiant l’attention à l’intention ; consulter et reconnaitre l’ apport ceux qui travaillent déjà sur le sujet en chantier avant qu’il se retrouve sous le feu des projecteurs. Enfin, rester attentif à la question de la propriété des éléments mis en partage. Cela demande un travail au niveau juridique, mais aussi au niveau de la communication, de façon à ce que l’acteur qui pourrait apparaitre comme dominant soit identifié comme UN des porteurs et non LE porteur du projet mené en coopération.
A terme on pourrait imaginer que cette fonction de médiateur se développe au point d’être intégrée par les institutions de recherche – à côté des plus classiques services de communication et de valorisation. La séance de théâtre-forum proposée par la troupe d’Agropolis le soir du premier jour en offre une belle illustration. Dans un village sans histoire, avec son café, sa rivière et …son usine, une équipe de recherche est venue mettre au point un capteur révolutionnaire capable de détecter des nouveaux polluants, les fameuses « tarto-particules ». Et le village témoin de se transformer en cas critique lorsque l’équipe découvre une importante pollution industrielle…La crise éclate devant les ambivalences de chacun et le manque de dialogue. Puis c’est au tour de la salle de proposer des solutions pour rejouer la scène : la chargée de comm’ adepte du tweet, du buzz et de la sexy-science se retrouve alors efficacement remplacée par une participante : la voilà métamorphosée en médiatrice chargée de faire le pont entre l’équipe de recherche et a population locale. Et l’audience de se rendre compte qu’à partir de là, il faudrait, pour espérer éviter la crise, détricoter tout le scénario pour associer dès le départ la commune et la population au projet de recherche !
A suivre !
Marine Legrand
[1] Liste à consulter ici : http://www.mshsud.org/valorisations/sciences-societes/assises-sciences-societes
[2] Voir la charte et le « Livre blanc » publiés par l’association : http://www.alliss.org/
Images : M.Legrand, ALLISS/MSH-Sud