Pendant six mois, j’ai été accueilli à l’IREPS (INstance régionale d’éducation et de promotion de la santé de Bretagne), où j’ai effectué un stage dans le projet Parchemins. J’y étais chargé d’enquêtes ethnographiques sur le terrain du Goëlo. Une partie des données collectées a été analysée dans le cadre de la rédaction de mon mémoire de Master 2, soutenu à AgroParisTech en septembre dernier et portant sur l’insertion territoriale des agriculteurs de Ploubazlanec et de l’île de Bréhat. Il s’agissait de questionner les évolutions que ces territoires ont connues dans leur rapport au littoral, et la place accordée à l’agriculture dans les organisations sociales et territoriales de ces espaces.
La proximité du littoral a construit des trajectoires communes entre Bréhat et les communes du Nord du Goëlo, des usages et des traits culturels. A Bréhat, on utilise le goémon « comme engrais et comme combustible » (Menguy, 2005, p.305) jusqu’au XXème siècle et les pêcheries y sont nombreuses. L’ensemble du territoire du Goëlo est marqué par les épisodes de pêche au long cours, notamment immortalisés dans l’ouvrage Pêcheurs d’Islande de Pierre Loti. De nombreux hommes s’engagent dans ces campagnes maritimes, en particulier vers l’Islande entre 1850 et 1935 et travaillent au champ à leur retour. Ils consacrent la figure du « marin-paysan ».
source : https://loti2010.wordpress.com/
Les premières spécialisations agricoles de ces espaces sont également régies par la proximité à la mer. L’effet régulateur de la mer sur le climat, à travers le Gulfstream, permet d’obtenir des récoltes précoces : la pomme de terre primeur qui y est cultivée devient une ressource exportée, et esquisse une des premières dynamiques de spécialisation de ces espaces.
La modernisation agricole, à partir des années 1960, tend à singulariser les trajectoires observées sur les deux territoires étudiés. L’agriculture à Ploubazlanec, au même titre que celle des communes environnant Paimpol, se spécialise autour de la culture de légumes frais, et s’intègre dans l’internationalisation de l’agriculture. L’Union des Coopératives de Paimpol et du Tréguier (UCPT) devient un acteur central et favorise cette hyperspécialisation. Les avantages pédoclimatiques du littoral ont moins d’importance, les avancées techniques et l’importance des cultures sous abri qui se développent à partir des années 1980 favorisant cette atténuation. La proximité avec la mer peut devenir une contrainte, notamment à travers l’enclavement et le morcellement du parcellaire que cette proximité a induite. Elle pose également des enjeux de co-habitation : l’espace littoral devient un espace attractif et convoité, à l’aune du développement des infrastructures de transport et du tourisme. Différents usagers du territoire se rencontrent sur des espaces qui deviennent pluriels : ils sont tantôt des espaces de l’habiter, tantôt du produire, tantôt du rêver.
De la même manière, cet enjeu de la cohabitation entre les différentes représentations du territoire structure les tensions perceptibles dans l’espace social à Bréhat. L’île se spécialise autour du secteur touristique au XXème siècle. Elle devient « l’île aux fleurs », décrite par des attributs paysagers exceptionnels qui lui sont associés. Progressivement, les résidents secondaires voient leur importance croître : ils représentent aujourd’hui 80% de la population de l’île. Sa mystification et les dynamiques résidentielles participent à marginaliser l’importance spatiale et sociale des activités agricoles. Comme à Ploubazlanec, on note une segmentation socialement marquée des usages du territoire : les différents groupes sociaux porteurs de projets de territoire parfois opposés dialoguent peu.
Cependant, il apparaît que cette segmentation des usages entre terre et mer, entre « locaux » et « résidents secondaires », tend à évoluer sur les deux territoires d’étude.
Le Coco de Paimpol, protégé par une appellation d’origine protégée (AOP) grâce à la mobilisation de réseaux d’acteurs locaux, peut participer à l’illustration de ce phénomène sur le continent. Arrivé par les mers, planté dans la terre, il permet un ancrage dans une histoire locale structurée autour des hybridations terre-mer.
A Bréhat, l’enjeu du maintien d’une population locale importante à l’année s’agrège à une diversité de questions écologiques et structurent les débats contemporains qui jalonnent les projets de redéploiement de l’agriculture sur l’île. Un réseau d’acteurs s’y investit au nom d’un projet de territoire qui renégocie les rapports de force locaux.
Cette restitution des analyses réalisées suite à ce terrain sont pour moi l’occasion de remercier tous les acteurs que j’ai pu rencontrer lors de mon enquête !
Cardinal J. (2018) : « L’insertion territoriale de l’agriculture : mise en perspective entre l’île de Bréhat et Ploubazlanec (Côtes d’Armor) » Mémoire de Master 2 Environnement, dynamiques, territoires et sociétés, AgroParisTech, Muséum national d’histoire naturelle. 148 p.
Disponible sur le lien suivant : M2_Parchemins_Jerome_Cardinal_Brehat_Ploubazlanec_Agriculture