Stage de Master 2 « Écologie des friches littorales »
Entre le 28 février et le 31 août, j’ai pu effectuer mon stage de master 2 au sein du projet ANFRICHE, avec pour objectif de décrire la végétation des friches de Moëlan-sur-Mer et l’évolution du paysage sur deux secteurs sélectionnés : Kerfany et Kersolf.
L’objectif était de caractériser la diversité des friches littorales en termes de formes et d’espèces végétales et de trajectoires.
Les spécificités de la friche littorale
De fait, l’enfrichement tend à être assimilé à des phénomènes comme l’homogénéisation de la végétation, la fermeture des milieux, ou bien la diffusion d’espèces invasives. A l’inverse, le relâchement de l’emprise humaine qui y est associée est parfois également perçue comme une opportunité pour la biodiversité, qui permettrait aux espèces spontanées de se développer librement.
Les friches littorales revêtent par ailleurs un aspect particulier : soumises à des conditions environnementales spécifiques (sel, vent…), leurs dynamiques sont aussi influencées par les enjeux liés à leurs situation géographique (spéculation, tourisme, politiques de conservation …).
Les deux zones étudiées ici ont été concernées à des degrés différents par le projet de remise en culture initié par la mairie dès 2014 et enclenché en 2019. Sur le terrain, leurs évolutions récentes se traduisent ainsi par des différences parfois importantes en terme de paysages, malgré des similitudes qui persistent.
Fourrés à cornouillers sanguins sur le secteur de Kerfany Cultures sur le secteur de Kersolf Pelouses aérohalines sur le secteur de Kerfany Fourrés à bas à prunelliers sur le secteur de Kersolf
Ces deux secteurs constituaient donc des terrains d’étude pertinents pour une étude comparative. Cependant, nous ne nous sommes pas cantonné aux friches à proprement parler, et nous avons aussi choisi d’inclure des parcelles récemment remises en culture, ainsi que des pelouses et des fourrés sur les hauteurs des falaises, exposés directement aux embruns.
Méthode : entre cartographie et terrain
Afin de décrire la végétation actuelle, des relevés botaniques ont été tout d’abord été effectués sur le terrain. Un traitement sur logiciel SIG (« Système d’Information Géographique« , ici Qgis) a ensuite permis de cartographier les différentes formes végétales rencontrées après avoir constitué une typologie pour regrouper les relevés. Ce travail a parfois été complété par une analyse des photographies aériennes (photo-interprétation) pour les zones les moins accessibles, ou bien par des vérification sur le terrain, notamment avec la floraison d’espèces non identifiables lors de premières visites. Une typologie de la végétation a ensuite été réalisée à partir des résultats de ces relevés.
En parallèle, un travail de photo-interprétation a permis de retracer l’évolution de l’enfrichement sur les deux secteurs à partir de photographies aériennes et satellites de cinq années : 1952, 1978, 2000, 2015, 2022. Toutefois, l’exploitation des photographie anciennes peut s’avérer compliquée : il n’était pas toujours possible de distinguer avec certitude certains types de milieux, comme les champs ou les prairies de fauche. Nous avons donc décider de constituer une typologie générale qui fournit tout de même des données solides sur la fermeture du milieu.
Deux types de cartographie sont issues de ces méthodes : des carte de la végétations actuelles et des cartes de l’évolution des formes de végétation entre 1952 et 2022.
La friche : des idées reçues à relativiser
Si nos résultats montrent que l’homogénéisation de la végétation et la fermeture du paysage rencontrent bien une certaine réalité sur les friches littorales étudiées, ces phénomènes semblent devoir être relativisés. De fait, bien que les fourrés soient le milieu dominant à partir des années 2010, des milieux ouverts (champs, pelouses exposées aux embruns, mais aussi prairies de fauche) se maintiennent tout au long de notre période d’étude. De plus si les fourrés tendent à être considérés comme pauvres en espèces végétales, une certaine hétérogénéité existe entre eux, à la fois en termes d’espèces et en terme paysager.
Ainsi, certains fourrés semblent être constitués par des repousses issus de précédents essartages, ce qui permet à des espèces herbacées de s’y implanter. Les différences d’entretien et d’usages qui existent parfois entre les parcelles semblent donc être à l’origine d’une certaine diversité paysagère, qui elle-même amène une certaine richesse spécifique.
On observe aussi un gradient littoral dans la composition des espèces : à mesure que l’on approche du trait de côte, certaines espèces moins résistantes aux embruns, comme le cornouiller, deviennent moins fréquentes. Par ailleurs, les milieux semi-ouverts (en voie d’enfrichement) semblent disparaître et être remplacés par des milieux ouverts (prairies de fauche, champs…) ou bien par les fourrés.
Enfin, deux rythmes d’enfrichement ont été mis en évidence : sur une trentaine d’années pour Kerfany, et sur une quinzaine d’années pour Kersolf.
Loin d’être un espace totalement homogène, la friche semble donc devoir être envisagée comme une mosaïque, composée de parcelles « en friche » à proprement parler (non utilisés et recouverts par la végétation spontanée), et de zones où l’entretien demeure constant. L’emprise humaine ne semble jamais être totalement absente.
Les suites
Une thèse, pour laquelle j’ai été recrutée, prolongera ce travail. En complémentarité avec l’approche des sciences humaines, il s’agira de caractériser les trajectoires des friches littorales des côtes rocheuses bretonnes, en les mettant en relation avec des végétations et des usages particuliers. Dans quelles mesures le processus d’enfrichement s’intègre-t-il dans la formation d’une mosaïque paysagère ? Quel est son impact sur les autres types de formations végétales ? Comment se caractérise la végétation des friches en termes de diversité spécifique et fonctionnelle ?
Comme pendant le stage, cette étude fera intervenir de la photo-interprétation et des relevés botaniques sur le terrain.
Néanmoins, la méthodologie déjà utilisée sera approfondie, notamment avec l’intégration d’outils d’analyse cartographiques (logiciel Chloé – Métriques paysagères) et des apports du projet EcoFriche, portant sur les friches humides.
Si le littoral de Moëlan-sur-Mer demeurera un des espaces géographiques de référence de ce travail, l’étude sera aussi élargie à d’autres secteurs dans l’optique d’une mise en perspective à plus vaste échelle.
Pierre Libaud